Lire le terroir : la cartographie au service des crus bourguignons

07/05/2025

La cartographie : un outil d'interprétation du terroir

Dans le monde du vin, la notion de terroir englobe plusieurs dimensions : le sol, le climat, la topographie, et même la main de l’homme. Les outils de cartographie, notamment les systèmes d’information géographique (SIG), offrent la possibilité d'étudier ces dimensions dans une perspective globale tout en révélant leurs détails les plus fins.

En Bourgogne, où chaque parcelle – ou climat comme elle est appelée localement – peut avoir quelques dizaines d'ares à peine, la cartographie permet une analyse profonde et visuelle des multiples paramètres influençant la vigne :

  • La composition des sols : Les cartes pédologiques mettent en évidence la diversité des sols bourguignons, du calcaire jurassique de la Côte de Nuits au marneux de la Côte de Beaune, influençant directement la minéralité et la structure des vins.
  • La topographie : Les reliefs dessinés par la cartographie montrent l'importante influence de la pente et de l'exposition solaire sur la qualité de maturation du raisin.
  • Les microclimats : Les cartes climatiques révèlent les variations de températures, de précipitations ou encore la présence de brumes ou vents spécifiques, facteurs clefs dans la vinification.

Analyser les crus bourguignons sans une carte revient donc à faire abstraction de la géographie, c'est-à-dire de ce qui constitue l’identité même des vins de la région.

La richesse unique de la mosaïque bourguignonne

La Bourgogne est mondialement connue pour sa "mosaïque de terroirs", une notion érigée en dogme grâce au système des climats inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2015. À elle seule, cette région regroupe près de 1 247 climats distincts, chacun exprimant des nuances géographiques uniques. Mais pourquoi une telle richesse ? Et comment la cartographie peut-elle nous aider à y voir plus clair ?

Tout commence il y a des millions d'années. L’histoire géologique de la Bourgogne prend racine dans la formation du Bassin Parisien, avec une succession d’épisodes sédimentaires, tectoniques et d’érosion qui ont façonné un véritable patchwork géologique. Par exemple, les Côtes de Nuits et de Beaune reposent sur une base de calcaires jurassiques entrecoupée de marnes et d'argiles, chaque roche influençant l’acidité, la profondeur racinaire et donc l’équilibre des raisins.

Les cartes géologiques, auxquelles s’ajoutent aujourd’hui les modèles numériques de terrain (MNT), permettent de visualiser cette hétérogénéité en détail. Par exemple :

  • Gevrey-Chambertin : Une appellation où cohabitent des parcelles riches en argiles dans les bas de coteaux et des sols calcaires bien drainés sur les hauteurs.
  • Montrachet : Un exemple emblématique où la maigreur du sol calcaire confère une tension et une pureté inégalées aux vins blancs produits sur cet espace réduit.

Ces variations subtiles, aujourd’hui largement accessibles grâce à des outils de cartographie fine, donnent naissance aux identités propres de chaque cru et expliquent leurs différences fondamentales, même à quelques dizaines de mètres près.

Les avancées technologiques au service de la Bourgogne

La cartographie viticole traditionnelle reposait sur des relevés topographiques réalisés manuellement ou sur des cartes cadastrales anciennes. Mais dans les dernières décennies, les technologies numériques ont bouleversé la manière dont les experts abordent la vigne.

Les systèmes d’information géographique (SIG)

Avec les SIG, il est désormais possible d'assembler une multitude de couches d’informations spatiales – pédologie, géologie, données climatiques, etc. Ces systèmes offrent des représentations précises et interactives, créant ainsi des outils puissants pour les vignerons comme pour les chercheurs.

En Bourgogne, des institutions et chercheurs, comme ceux de l’Institut Scientifique de la Vigne et du Vin (ISVV) ou du Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB), intègrent ces avancées pour affiner la connaissance viticole. Les SIG permettent notamment :

  • De cartographier les potentiels hydriques et thermiques des sols, essentiels dans un contexte de réchauffement climatique.
  • De simuler les effets des pentes sur l’écoulement des eaux afin de prévenir les risques d'érosion ou d’accumulation d’humidité.
  • D’analyser l’influence des structures géologiques sur la vigne, en croisant des données géologiques avec la localisation des appellations.

La télédétection et les drones

Autre révolution : la télédétection. Avec des drones équipés de capteurs multispectraux, il est possible de surveiller en temps réel l’évolution de la vigueur de la vigne ou encore l’état hydrique des sols. En Bourgogne, certaines maisons prestigieuses utilisent ces technologies pour affiner leurs pratiques culturales, adaptant encore plus finement chaque action au millimètre près.

Comment la cartographie réinvente la lecture des climats

Si l’UNESCO a reconnu les climats comme un patrimoine culturel exceptionnel, c’est bien parce qu’ils incarnent l’articulation parfaite entre nature (géographie, géologie) et culture humaine (découpage parcellaire, vinification). Or, pour interpréter ce découpage complexe, la cartographie est indispensable.

Un exemple : le cas du Grand cru Romanée-Conti

La Romanée-Conti, reconnue comme l’un des plus grands crus de Bourgogne, est un modèle d’analyse géographique. Sur quelques hectares à peine, les cartes montrent une finesse impressionnante dans la répartition des sols : en haut, un sol plus caillouteux, plus fin, favorisant un enracinement profond ; en bas, un substrat légèrement plus riche en argile offrant un équilibre parfait entre puissance et finesse. Sans l'appui cartographique moderne, croiser ces données avec les pratiques culturales et les variabilités climatiques relèverait d’un défi monumental.

Quand la science rencontre le soin des vignerons

La cartographie s'impose ainsi comme une interface entre science et artisanat. Si elle devient un levier pour l’adaptation des pratiques viticoles aux défis du changement climatique, elle renouvelle aussi notre sensibilité à la notion même de terroir.

En Bourgogne, où chaque vignoble, aussi petit soit-il, mériterait sa propre bibliothèque de cartes, une évidence se dessine : comprendre les secrets cachés de ces sols, c’est rendre hommage à une harmonie millénaire entre l'homme et la nature. Plus qu’un outil technique, la cartographie ouvre un nouveau regard sur la richesse invisible des climats, nous rappelant que derrière chaque cru se cache un territoire à déchiffrer, une histoire à lire dans la terre elle-même.

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