Dans les profondeurs du Mâconnais : décomposer les sols de Loché et Vinzelles

25/06/2025

Introduction : Deux crus, une mosaïque géologique

Au sud de la Bourgogne, placés à la charnière du Mâconnais et du Beaujolais, Loché et Vinzelles occupent une position singulière. Ces deux villages, attachés à l'appellation d'origine contrôlée Mâcon-Loché et Mâcon-Vinzelles, mais surtout à Pouilly-Loché et Pouilly-Vinzelles pour leurs crus, offrent un terrain d'exploration privilégié pour qui s'intéresse à la diversité des sols viticoles. Les vignerons évoquent une dualité entre finesse et puissance, minéralité et fruité ; les cartes et les analyses du sol, elles, révèlent une succession de micro-paysages minéraux hérités de millions d'années de bouleversements géologiques. Comprendre la matrice sur laquelle pousse le chardonnay ici n’est pas une question de détail, mais bien de fondation.

Contours géographiques et lectures cartographiques

Avant toute analyse, situons le décor. Loché et Vinzelles s’élèvent sur la rive droite de la Saône, aux alentours de Mâcon. Le paysage, souvent dominé par les reliefs doux et ondulés du Mâconnais, est modelé par la fracturation du socle bourguignon et le plissement du Précambrien, accentué par les mouvements tectoniques du Tertiaire. Cette géologie particulière explique la diversité pédologique concentrée sur une aire réduite.

Sur carte, plusieurs lectures convergent :

  • Une situation en fin de coteaux, adossés au rebord oriental du Massif Central.
  • La proximité immédiate des célèbres roches calcaires du Solutréen.
  • Des altitudes modérées, étagées entre 200 et 280 mètres.

Les cartes pédologiques de l’INRAE (Référentiel Pédologique National, 2011) et la carte géologique détaillée de Charnay-lès-Mâcon (BRGM) fournissent les bases de notre analyse.

Histoire géologique : du Jurassique à aujourd’hui

Chronologiquement, les sous-sols de Loché et Vinzelles racontent surtout l’histoire du Jurassique, avec une prédominance du Bajocien et de l’Oxfordien (périodes datant d’environ 170 à 160 millions d’années). Ces couches sont venues recouvrir partiellement des formations plus anciennes, favorisant une polystratification remarquable sur quelques centaines de mètres seulement.

Quatre grands événements géologiques façonnent les terroirs :

  1. Dépôt des marnes et calcaires au Jurassique : Ces roches sédimentaires marines sont omniprésentes, avec parfois des interlits d’oolithes ou de grès. Leur alternance génère des différences marquées d’hydromorphie.
  2. Élévation du massif central : Entaillant les couches, cette poussée a créé des failles majeures. Loché se singularise par une faille qui traverse son vignoble du nord au sud-0est.
  3. Érosion et apports quaternaires : Les périodes froides ont apporté cours d’eau, colluvions et sols bruns sur les pentes.
  4. Action humaine : Les terrasses et remaniements historiques ont localement modifié les horizons.

Typologies dominantes de sols à Loché et Vinzelles

Les terroirs de Loché et Vinzelles sont structurés autour de trois grands types de sols, mais chaque unité de paysage recèle ses nuances.

  • Calcaires bruns à cailloutis (rendzines) : Omniprésents sur les parties sommitales et les pentes. Ces sols évoluent à partir de calcaires durs (Bathonien, Bajocien). Leur faible épaisseur (parfois moins de 30 cm) et leur richesse en cailloutis favorisent le drainage et une certaine précocité du cycle végétatif de la vigne. Ils conviennent tout particulièrement au chardonnay pour la production de vins ciselés, à l’acidité droite.
  • Colluvions marno-calcaires : Dans les évasements de pentes, on retrouve des sols plus épais, nés de l’accumulation lente de marnes et de calcaire remaniés. Leur texture évolue du limono-argileux à l’argilo-calcaire. Les réserves hydriques y sont plus importantes (notamment sur les bas de coteaux), conférant aux vins une chair plus ronde et un fruité souvent plus perceptible. Cette configuration se retrouve notamment à Vinzelles, dans la partie sud, entre Pouilly et Chanes.
  • Sols à substrat marneux profond : Sur les replats ou en pied de pente, l’altération des marnes libres donne lieu à des sols argileux épais (jusqu’à 80 cm), marqués par des horizons parfois hydromorphes. Ce sont les terroirs les plus tardifs, sensibles à la sécheresse ou à la compaction, mais précieux pour leur potentiel de stockage hydrique lors d’années sèches.

Selon la cartographie officielle du BRGM (Infoterre), il existe sur ces communes un enchevêtrement de calcaires oolithiques (Bathonien) au nord, de calcaires argilo-marneux à l’ouest, et de marnes litées principalement dans la zone de Vinzelles.

Le calcaire du Mâconnais : variations et influence

Le fil conducteur de Loché et Vinzelles reste le calcaire. Mais il n’est pas monolithique : différents épisodes sédimentaires ont déposé des faciès distincts dont l’impact est sensible jusque dans le verre.

  • Calcaires oolithiques (Bathonien) : Très présents à Loché. Issus de dépôts marins chauds, ils offrent des sols maigres et rapides à réchauffer. Leur forte pierrosité garantit une contrainte hydrique qui canalise la vigueur de la vigne, d’où des baies petites et riches en composés aromatiques.
  • Calcaires fins à gryphées (Bajocien sup.) : Plus présents à Vinzelles, ils donnent des horizons plus compacts mais moins filtrants. Leur plus grande épaisseur favorise l’équilibre hydrique, intéressant pour les années de sécheresse.
  • Marnes : Les marnes « à gryphées » (riches en fossiles) modulent l’acidité du sol. Leur profil chimique – chargé en magnésium et en argile – impacte la disponibilité des oligo-éléments pour la vigne.

Que racontent les cartes pédologiques ?

Si l’on zoome sur les unités cartographiées par l’INRA et l’IGN (via le Géoportail), la diversité s’affine encore :

Zone Type de sol dominant Profondeur Propriétés remarquables
Pentes sud-est de Loché Rendzines peu évoluées sur calcaire dur 30 à 50 cm Drainage rapide, stress hydrique contrôlé, haute teneur en calcite active
Bas de coteau de Vinzelles Sols bruns calcaires sur colluvions marno-calcaires 50 à 70 cm Stockage d’eau bon, argiles fines, développement d’arômes floraux
Pieds de pentes et dépressions Sols argilo-marneux hydromorphes 80 cm et plus Sensibilité aux excès d’eau, vigueur accrue, maturation tardive

À noter, certains secteurs sur calcaire très fracturé, près du hameau de Fussière à Loché, contiennent des concentrations importantes de fragments d’oolithes, conférant aux profils aromatiques des vins une tension minérale marquée.

L’impact sur les vins : lectures croisées des sols et des verres

Si Loché et Vinzelles partagent une matrice géologique, l’infinie variation de leurs sols est perceptible dans leurs vins, selon les analyses de l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV):

  • Les sols minces, pierreux, en haut de coteaux : vins droits, nerveux, à l’acidité ciselée, avec une persistance saline, caractéristiques que l’on retrouve particulièrement dans quelques lieux-dits tels que « Les Mûres » à Loché.
  • Les colluvions plus épaisses de bas de pente : jus plus larges, aromatique développée, fruité exotique, structure souple mais moins verticale. Noté à Vinzelles, particulièrement dans « Les Quarts ».
  • Les secteurs sur marnes profondes : vins puissants, parfois riches en matière, capables de longue garde si la gestion hydrique reste maîtrisée (potentiel de garde supérieur à 10 ans sur certains millésimes).

A retenir également, la gestion actuelle du sol (enherbement, travail superficiel), couplée à la variabilité climatique (réchauffement, épisodes de sécheresse) questionne la capacité de chaque sous-type à exprimer tout son potentiel sans contrainte excessive pour la vigne.

Pour aller plus loin : les singularités micro-locales

S’arrêter à la seule typologie dominante serait réducteur : chaque parcelle, voire chaque rang de vigne, possède son identité propre, forgée par des détails invisibles à l’œil nu mais mesurables aux instruments ou à la dégustation.

  • Effets de pente et d’exposition : Les versants sud et sud-est bénéficient d’un ensoleillement homogène et d’un gradient thermique plus marqué, précipitant maturité et concentration aromatique. Les plateaux plus frais sur substrat marneux s’expriment plus lentement mais offrent une capacité tampon utile lors de millésimes précoces.
  • Biodiversité microbienne : L’analyse réalisée par l’équipe de Sols de Bourgogne (Université de Bourgogne, 2021) note des populations microbiennes plus riches sur colluvions profondes, favorisant l’expression de certains précurseurs aromatiques du chardonnay.
  • Héritages historiques : Plusieurs petites terrasses vestiges de la culture romaine, visibles sur les cadastres napoléoniens, sont aujourd’hui plantées de vignes sur sol caillouteux, générant des vins souvent plus intensément minéraux.

Élévation et enjeux contemporains

Loché et Vinzelles, comme l’ensemble du Mâconnais, font aujourd’hui l’objet de réévaluations permanentes à la lumière du changement climatique et des choix agronomiques. De nouveaux cépages y sont parfois testés, mais le chardonnay reste roi, structurant la lecture du terroir.

L’une des questions centrales demeure : comment conserver l’équilibre hydrique sur des rendzines parfois très poreuses ? Des essais de paillage et de plantation d’espèces compagnes sont en cours, dans une approche de viticulture régénérative.

La cartographie interactive (SIG) et la modélisation 3D des profils de sol, déployées par des chercheurs comme B. Van Leeuwen (INRAE Bordeaux), permettent désormais de mieux prédire l’impact à l’échelle intra-parcellaire, ouvrant la voie à une viticulture d’une précision nouvelle.

Sous la vigne, Loché et Vinzelles abritent ainsi une collection de mondes cachés, preuves silencieuses que la qualité d’un vin se construit d’abord dans l’alchimie complexe de la géologie et du sol. Décoder ces couches revient à donner corps à l’expression du terroir, là où la science rejoint la poésie des crus. Sources : BRGM, INRAE, IFV, Sols de Bourgogne (Univ. Bourgogne), Atlas des terroirs du Mâconnais (Vigne & Vin Publications)

En savoir plus à ce sujet :