Sous la surface : le granit, matrice secrète des vins de Chénas

10/07/2025

Une mosaïque géologique méconnue au cœur du Beaujolais

Peu d’appellations dans le Beaujolais suscitent autant de curiosité géologique que Chénas. Dans l’imaginaire commun, “le granit” désigne souvent un socle compact et uniforme, mais la réalité invite à plus de nuance. Chénas, plus petite appellation du Beaujolais (239 hectares sur 6 km de long), se distingue par sa position charnière entre le nord granitique et le sud argilo-calcaire du vignoble. Ici, l’influence du socle granitique est omniprésente, mais la composition du sol, sa profondeur, la granulométrie, le niveau d’altération, la présence de sables ou d’arènes, et les épaisseurs d’argiles rouges signent à chaque fois un profil différent. 

Ce socle granitique, principalement d’âge hercynien (daté de 330 à 320 millions d’années), est constitué du fameux granite à deux micas (biotite et muscovite), altéré, fragmenté, parfois réduit en arène — une “terre à granit” friable, drainante et pauvre en matières organiques. Cette spécificité pédologique confère aux raisins et, in fine, aux vins de Chénas leur identité singulière.

  • 239 ha sur 1 000 ha potentiels, un des plus petits crus du Beaujolais
  • Altitude entre 250 et 450 m
  • Dominance des substrats granitiques, marqués de zones sablo-argileuses
  • Communes principales : Chénas et en partie La Chapelle-de-Guinchay

Lire le granit : du socle à la vigne

Sur le terrain, le granit de Chénas raconte une histoire de lente désagrégation. Le granite lui-même, fait de quartz, de feldspath et de mica, s’altère sous l’effet combiné du climat tempéré, de l’eau et du temps, devenant lentement une arène sableuse à gravier grossier. La richesse minérale de ce sol, sa capacité de rétention d’eau plutôt faible et la finesse de sa texture génèrent des contraintes hydriques modérées, des enracinements profonds et une nutrition lente mais régulière pour la vigne. Ces conditions sont particulièrement prisées pour la culture du Gamay noir à jus blanc, puisque celui-ci bénéficie de sols pauvres et bien drainés pour tempérer sa vigueur végétative.

  • Arène granitique : du sable grossier, fortement acide (pH < 6), à faible contenu en matières organiques
  • Richesse en potasse et en manganèse (source : INRAE, Carte pédologique du Beaujolais)
  • Faible profondeur utilisable par les racines, entraînant un enracinement profond et adaptatif
  • Grande variabilité intra-parcellaire : les sols granitiques “purs” alternent avec des poches de sables, d’argiles ou de quartzite

Les caractéristiques physiques et chimiques de ces sols créent, à la parcelle, une hétérogénéité favorisant la complexité des vins. La cartographie récente (projet SIG du Beaujolais – Beaujolais.com), croisée avec la typologie pédologique détaillée par Zeff, Cabanis et Delile (1989), met en évidence l’importance de cette cartographie fine pour expliquer la diversité stylistique des Chénas.

Comment le granit sculpte l’expression du Chénas

Structure, tanins et couleur : la signature du sol

Les vins de Chénas issus de sols granitiques manifestent un profil à la fois droit, tendu, souvent plus charpenté et structuré que ceux de Morgon ou Brouilly, tout en conservant une finesse remarquable. Cette singularité trouve son origine dans trois mécanismes directement liés aux propriétés du granit :

  1. Drainage et stress hydrique modéré :
    • Le drainage naturel du granit force la vigne à s’autolimiter, réduisant la vigueur foliaire et favorisant la concentration aromatique.
    • La faible capacité de rétention d’eau accentue l’effet millésime, donnant des vins plus puissants et riches en tanins lors des années sèches.
  2. Richesse minérale spécifique :
    • Le granite libère des éléments minéraux (notamment potassium, magnésium, manganèse) qui agissent sur le métabolisme du Gamay et influencent la couleur (stabilité des anthocyanes) et l’expression aromatique.
  3. pH du sol et acidité naturelle :
    • La forte acidité du sol granitique permet de préserver la fraîcheur et la tension acide du vin, même dans des millésimes solaires.
    • Le pH bas du sol favorise l’expression aromatique florale, typique de la violette et de la pivoine, signature olfactive du Chénas.

Typicité aromatique et complexité

Une série d’analyses sensorielles menées entre 2015 et 2022 par l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV) a montré que les vins de Chénas ancrés sur granite s’expriment plus volontiers sur le registre floral (violette, pivoine, iris), souligné par des notes de fruits rouges acidulés (groseille, framboise) et une touche épicée spécifique (poivre gris).

Les tanins, eux, se montrent civilisés, élégants, mais plus présents qu’ailleurs dans le Beaujolais, conférant au Chénas une aptitude supérieure à la garde (8 à 15 ans pour les plus beaux exemplaires).

  • Dominance arômatiques florales
  • Tanins racés, veloutés mais fermes
  • Corps et profondeur accrus
  • Notes minérales (graphite, pierre à fusil) identifiables

Cartographie des sols granitiques à Chénas : zoom sur les climats

La lecture cartographique montre une dominance des arènes granitiques, mais la fraction argilo-siliceuse y façonne aussi des nuances notables. Parmi les micro-terroirs emblématiques :

  • Les Brureaux : coteaux pentus à arène granitique pure, vins d’une grande verticalité
  • Chassignol : granite décomposé mêlé à des poches d’argiles rouges, offrant davantage de chair et de volume
  • En Remont : socle granitique surmonté de sables grossiers, grande finesse, structure droite
  • Les Caves : zones plus profondes, influences métissées, génèrent des vins plus souples

Le relief vallonné, orienté sud-ouest/nord-est, accentue les contrastes d’exposition et donc la maturité. Sur carte IGN au 1/25 000, la commune de Chénas présente un gradient altitudinal marqué et des ruptures de pente visibles qui impactent tant le microclimat que la structure du sol.

Effets millésime et changement climatique : le rôle du granite face aux nouveaux défis

L’une des forces du granit réside dans sa capacité à tempérer les excès : dans les années chaudes, sa faible rétention d’eau incite la vigne à ralentir, limitant la surmaturité. À l’inverse, lors des années pauvres en précipitations, le stress hydrique peut devenir un facteur limitant pour le rendement, mais renforce la complexité phénolique et minérale des vins :

  • 2015 - 2018 : millésimes solaires où la vigueur a été freinée par l’arène, produisant des vins profonds, structurés, à fort potentiel de vieillissement
  • 2021 : millésime plus frais, où le granit a permis de préserver l’équilibre acide et la définition aromatique

Ce comportement résilient du granite est suivi avec attention par les chercheurs de l’INRAE (voir rapport 2022 sur la résilience des terroirs granitiques du Beaujolais), car il éclaire les choix de conduite future dans le contexte du réchauffement climatique.

Perspectives et enjeux pour la valorisation de Chénas granitiques

Face à la renaissance d’intérêt pour l’expression du terroir et la montée en puissance de la cartographie de précision (projets SIG), Chénas bénéficie de plusieurs atouts :

  • Capacité d’identification des micro-parcelles exceptionnelles (exemple : Les Brureaux classé “lieu-dit” d’intérêt patrimonial)
  • Patrimoine pédologique à préserver face à l’érosion (l’arène granitique, fragile, nécessite des pratiques anti-érosives sur les pentes vives)
  • Education à l’effet terroir: les nouvelles générations de vignerons et les écoles de sommellerie travaillent de plus en plus cette lecture croisée carte-sol-verre
  • Relance des modes de vinification adaptés (foudres, macérations longues, extraction douce) pour sublimer la singularité du granit

Les initiatives récentes de cartographie collaborative, comme menées par le SIG-Géol Lyon, ouvrent la voie à une reconnaissance renouvelée des terroirs granitiques de Chénas, à la fois précieux et fragiles.

Enracinement et singularité : Chénas dans le miroir du granite

À Chénas, le granit ne se contente pas d’être le support de la vigne : il est l’âme souterraine des vins. Par sa composition, sa structure, sa lente transformation en arène, il confère au Gamay local une énergie, une verticalité et un potentiel unique. Cette signature se perçoit dès la couleur profonde, l’acidité tendue, la puissance aromatique, mais aussi dans la patience du vieillissement. Pour saisir pleinement ce qui distingue un Chénas granitique, seule la lecture croisée du sol, de la carte et du verre permet d’approcher la vérité du terroir, et d’en lire la promesse à chaque gorgée.

Sources : INRAE (Carte pédologique du Beaujolais) ; IFV (Analyses sensorielles Chénas 2015-2022) ; ODG Chénas ; Zeff, Cabanis, Delile (1989).

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